15 May
15May

Le voile chez les hommes touaregs  ne relève pas uniquement de l’ordre de l’esthétique. Le taglmoust, pièce maîtresse de l’apparat masculin, traduit une vision du monde ancrée dans une cosmogonie inaltérée, et témoigne d’un art de vivre qui ne cesse de fasciner.  

 

Symbolique 

Taglmoust est un voile qui peut atteindre les huit mètres de long. Il couvre le visage des hommes, ne laissant entrevoir que les yeux. Sa longueur diffère en fonction du rang et de la caste de celui qui le porte. Les nobles le portent très long, contrairement aux hommes de rang inférieur, qui ne laissent pas entrevoir beaucoup de sophistication. «Le voile. C’est surtout un vêtement de salon, de société, de cérémonie, quelque chose d’analogue à nos gants, mais bien plus strictement indispensable. » Fait remarqué  M.E.F. Gautier.  

Aussi, son port revêt une lecture qui   suscite encore de nos jours, une imagerie fort mystérieuse. Le fait que les femmes apparaissent moins couvertes, drapées d’étoffes qui ne masquent pas leurs visages comme il est le cas chez les hommes, contribuent à nourrir le fantasme. D’ailleurs, le voyageur occidental du début du XIXe siècle a brodé une fantasmagorie sur  le port du  taglmoust, et diverses théories ont  foisonné sur cette société «modérée ».  L’une de ces hypothèses met en avant une légende locale, selon laquelle il fut un temps, où les femmes se seraient montrées les plus vaillantes pendant la guerre; depuis ce jour, les hommes, honteux et confus, auraient porté un voile qui couvrait quasi intégralement leurs visages. Il est vrai que les femmes jouissent d’un statut privilégié dans la société targuie; mais leur mode de vie réfute cette théorie. Maîtresses des foyers et des tentes, elles ne sont contraintes ni de se nomadiser, ni  de s’éloigner du campement . Ainsi, elles ne sont pas confrontées aux conflits extérieurs, ni à l’essuf (le vide), cet espace de superstitions et des djinns.  


Porté dés la puberté du  garçon,  le Taglmoust souligne à la manière d’un rite de passage à l’âge adulte, l’émancipation de ce dernier de la tente maternelle, vers le monde des hommes.  Il devra désormais mesurer ses paroles, prendre part dans la société, et dompter l’espace extérieur « essuf ». Enfin, le caractère codifié est aisément mis en exergue à travers le lexique autour du taglmoust. En effet, le tissu est composé de deux pans, appelés amawak wan eres (gardien du bas) et amawal wan afalla (gardien du haut). Le gardien, préserve l’homme de sa bêtise et de sa maladresse; ainsi, ce glossaire, nous renvoie vers une philosophie qui prône de la mesure dans les gestes et les paroles. « Le voile qu’ils rabattent sur leur front et sur leur bouche rappelle à chaque instant la solitude dont ils se protègent, et où les plus  talentueux tirent la matière de poèmes qui les peignent tels qu’en son principe la société les fait être : loin des tentes. » explique l’anthropologue Casajus. 

 Leila Assas  

 

Bibliographie : 

  • Claudot-Hawad H 1991 —Visage voile et expressivite  chez les Touaregs Geste et image 8-9 : 187-204 
  • Cabalion S. 2010. – Des catégories animales aux catégories sociales : ordinaire et extraordinaireen matière de consommation de viande chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger). Anthropozoologica 45(1): 77-99. 
  • Dominique Casajus. Poésie, langage, écriture. De l’ethnographie des Touaregs à une anthropologie de la poésie orale. Anthropologie sociale et ethnologie. Université de Nanterre – Paris X, 2006 
  • Faiza Sedik Arkam , Epouser l’essuf (l’invisible) : rites de passages et de guérison chez les Touaregs de l’Ahaggar (Sahara algérien)L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2014, volume 15, n°3 | 349 
  •  image Tuareg man. North of Gao, Mali. | ©Georges Courreges
  • Initialement publié sur www.babzman.com
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