26 May
26May

Savamment rattachés au cycle de la vie, les codes sociaux, conjugués aux divers acteurs de l’aspect du quotidien pointent l’index sur  la place des femmes. Elles sont en effet intiment et indubitablement rattachées à l’organisation d’une société quelle qu’elle soit, car elles en sont le socle et l’emblème.

Les ksours et oasis occidentales ont longtemps été le théâtre de plusieurs influences ethniques. Berbères, juifs et arabes se sont succédé et  y ont cohabité. De ce fait,  la lecture de certaines pratiques matriarcales de cette région, complexe et riche de ses brassages, ne peut se traduire qu’à la lumière des réalités historiques, analysées sous un aspect diachronique/synchronique.

Ainsi, le mariage en tant qu’union sacré et correspondant au mode d’organisation de la conjugalité le plus ancien et le plus répandu; et constitue un domaine de choix, dans notre modeste présentation des us et coutumes des femmes des oasis occidentales.


Le contrat  prénuptial :

Soucieuses du confort de leurs filles, lorsque celles-ci atteignent l’âge d’être mariées, les mères de familles commencent, alors de pointus pourparlers  et de grandes négociations, en vue d’une contraction avantageuse pour leurs filles. Lalla Aicha, doyenne de l’un des ksours de Charouine, une femme toute menue au charisme singulier, me raconte avec beaucoup d’humour et d’espièglerie la petite histoire d’une grande ruse. Elle me précise ainsi les contours du rôle de la femme, qui doit s’occuper de l’éducation de ses enfants, veiller sur les biens de son mari, et se charger de l’entretien  du djenane en se chargeant de la culture de la terre et de l’élevage du bétail. Plus qu’un devoir, il s’agit d’un mode de vie et d’un moyen de passer le temps.

Il y a fort longtemps de cela, fins stratèges, ses aïeuls femmes ont trouvé le moyen leur permettant de se dérober à certaines tâches qu’elles estimèrent ingrates. Elles auraient délibérément saccagé leurs djenanes prenant le grand risque de  se faire répudier. Accablés, les pauvres maris, tinrent conseil, et délibèrent. Ils interdisent alors à leurs femmes de cultiver la terre et depuis, cette interdiction perdure dans certains ksours (il convient de préciser que cette règle ne concerne pas l’’ensemble des ksours occidentaux, mais seulement quelques uns). Ainsi, prenant acte de la décision prise en conseil, si la future belle-famille n’adhère pas à cette condition considérée comme sine qua none, les fiançailles sont rompus ou les pourparlers interrompus. Mais dans le cas contraire (en plus de l’acceptation des autres conditions citées par les deux familles), les youyous résonnent, et la fatiha est lue afin de sceller ce contrat prénuptial tacite.

 Dans  l’imaginaire collectif de l’humanité, la malice et la ruse sont des traits de caractère prédominants et indissociables de la figure  féminine .En l’an 560 hégire, le théologien et philosophe, Ibn El Djouzi, consacre aux femmes un ouvrage intitulé :   « Hiyalou anissaê », Ruses des femmes. Bien que  considérées comme  cocasses et triviales, certaines pratiques sont sans doute l’expression d’un bouleversement et d’une évolution des mœurs, contribuant de façon « ingénieuse », à l’amélioration de son mode de vie.


Deuil et veuvage

Le deuil féminin est une pratique observée dans diverses sociétés, et demeure l’expression ultime d’un dévouement éternel de la femme envers son défunt époux. En Inde, la pratique funéraire de la satī chez la caste des kshatriyas  (vie siècle apr. J.-C.) se traduit par un suicide de certaines veuves, qui  se jettent dans le bûcher crématoire de leur époux, offrant ainsi leur enveloppe charnelle aux flammes, dans le but de voir leurs âmes unies à jamais. 

Pour les Musulmans, et en application de la réglementation  de la Charia (ensemble de normes doctrinales, sociales, culturelles, et relationnelles édictées par le coran),  la période du deuil de la veuve, appelé el Adha,  est fixée à quatre mois et dix jours, durant laquelle elle est soumise à de rigoureuses instructions en vue (principalement) de préserver le lignage.

A la fin de son veuvage, la femme des oasis occidentales et particulièrement celle du Gourara pratique un rituel  ancestral, visant à marquer sa réintégration dans la vie sociale de l’oasis.  Le manque de documentation à ce sujet, nous empêche de nous prononcer sur la datation du rituel et de dire s’il est antérieur ou postérieur à l’avènement de l’islam dans la région.


Rituel de réintégration social  " el Adha"

L’ensemble des habitants de l’oasis y participe . Les femmes âgées se chargent de la logistique de la zarda : elles perçoivent des contributions pour préparer le festin, principalement des denrées alimentaires telles que : le sucre, le thé, la semoule…etc.

Durant ce temps-là, la veuve, accompagnée uniquement de jeunes filles, se prépare à quitter l’oasis et cela après la prière de l’asr. Lavée, ornée et de blanc vêtue, puis escortée de ses dauphines, elle se rend au périphérique de l’oasis, qu’elle doit rejoindre  en évitant tout regard indiscret, car nul ne doit la voir en tenue de deuil!

Les fillettes se chargent de surveiller et de chasser toute présence masculine; gare à celui qui lèvera le regard, car l’escorte forte de ses armes : jrid et palmes, est prête à infliger les châtiments corporels que méritent les curieux, car si la règle de discrétion n’est pas respectée, cela risquerait de porter malheur et préjudices aux jeunes dauphines.

Une fois le périmètre sécurisé, le rituel peut commencer.Deux jeunes garçons sont désignés parmi les proches parents de la femme, pour faire el hamala (les porteurs). On leurs confie le soin d’acheminer les vêtements du deuil, constitués d’une sobre toilette et d’un d’un morceau du linceul du défunt, et qui fut porté en guise de foulard par sa veuve durant les quatre mois et dix jours de son veuvage.

De ses habits, on fera un énorme feu, autour duquel danseront des jeunes filles, présageant ainsi une période de renaissance pour la veuve. De nombreuses interprétations gravitent autour de cette pratique : du simple jeu au rituel magique, en passant par la symbolique d’une nouvelle vie qui commence. On peut dire que le rituel marque sans aucun doute la réintégration mais surtout la disponibilité de l’épouse.

Certains racontent que les jeunes filles, les plus audacieuses et désireuses de se marier dans les semaines à venir doivent traverser le feu crépitant en  direction de la destination (homme) souhaitée. Sur leur chemin, elles peuvent croiser celles, qui plus rusées  tenteront de saboter leurs plans en leur indiquant une direction opposée,  et les nargueront en se félicitant de leur malice.

De retour à l’oasis, la cérémonie se clôture autour d’une table garnie de succulents mets attend le cortège.Encore  en cours de nos jours dans quelques oasis occidentales,  les pratiques des femmes des oasis occidentales, témoignent de L’étroite relation qu’entretient la femme avec ses croyances, ses sensibilités,  son espace et son vécu. Les us et les ruses deviennent subséquemment l’expression d’une dialectique qui se transmet exclusivement par mimétisme et voie orale.

Leila Assas

Nota Bene : J'ai été personnellement témoin du rituel de réintégration social entre 2012 et 2019 dans la région de Charouine ( Timimoun)


Bibliographie : 

  •  Urvoy, Marie-thérèse. « La morale conjugale dans l'islam », Revue d'éthique et de théologie morale, vol. 240, no. 3, 2006, pp. 9-34.
  • Weinberger-Thomas Catherine. Cendres d'immortalité. La crémation des veuves en Inde / Ashes of Immortality. The Cremation of Widows in India. In: Archives de sciences sociales des religions, n°67/1, 1989. The twists and turns of religion in India. pp. 9-51.   
  • Image : Françoise Saur ©, Femme du Gourara,  La Filature.        



 

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