26 Jul
26Jul

L’artiste belgo-nigérien Aboubacar Anana Harouna (aka Anana Kel Assouf), lauréat des Octaves de la Musique en 2017 et 2020 et leader du groupe Kel Assouf raconte à PAM son Niger natal, sa musique et son engagement. Interview.

Après des années de nomadisme dans l’Aïr, vaste aire historique où vivent les Touaregs du Niger, le jeune Anana s’installe à l’âge de neuf ans avec sa famille à Agadez. Enfant du Ténéré, il est, très jeune, bercé par la musique Ishumar, style musical contestataire dont les mythiques Tinariwen furent les premiers (guitar) héros. Une musique née dans les camps d’entraînement en Libye qui deviendra la bande de la rébellion touarègue du début des années 90, circulant (parfois sous le manteau) sur des cassettes qui voyagent entre le Mali, le Niger et l’Algérie… ils deviennent la figure emblématique et les porte-parole de la Tumast* (peuple, nation en tamasheq) touareg. En 1993, Anana est contraint à l’exode et rejoint les camps d’entraînement en Libye où il manie à son tour la kalachnikov et la guitare, à l’instar de plusieurs groupes comme Tumast, puis s’installe dans l’Ahaggar (sud-est de l’Algérie), autre région historique touarègue, où il côtoie les Tinariwen et Badi Lalla, la diva de l’Ahaggar, doyenne algérienne du tendé* (mortier converti, à l’aide d’une peau, en percussion. Le mot désigne par extension un genre de musique joué pendant les fêtes, NDLR). C’est en Algérie, à Bordj Baji Mokhtar, région limitrophe du Mali, qu’il donne son premier concert. Après plusieurs séjours en Europe, il s’installe en Belgique en 2006, et débute dès lors sa carrière internationale avec son groupe, Kel Assouf. Le Niger et la culture des Kel Tamasheq (le nom que se donnent eux-mêmes les Touaregs) demeurent au cœur de leur musique, et de leurs préoccupations. Surtout en ces temps troublés. 


Vous êtes installé en Belgique depuis quelques années, quels liens entretenez-vous avec les proches restés au Niger ? 

Je vis en Belgique depuis 15 ans, mais je n’ai jamais oublié d’où je viens. « Je suis né avec du sable dans les yeux », disait Mano Dayak, le grand leader des Kel tamasheq, fils de l’Aïr comme moi. Je viens d’Agadez, une des villes emblématiques du désert, une très belle région qui se trouve aujourd’hui malheureusement coupée du monde depuis 2010 et désormais classée « Zone rouge » par le Quai d’Orsay comme le reste du Niger depuis les sinistres évènements du mois d’août dernier (six Français et deux Nigériens avaient été tués par des terroristes à Kouré, NDLR). Nous espérons un retour à la vie normale, et nous œuvrons en ce sens : j’ai adressé une Lettre ouverte au président Emmanuel Macron afin de reconsidérer cette décision. Le tourisme, étant un vecteur clés pour l’épanouissement économique de la région, il est important de pacifier la région au lieu de la bannir, cela ne fera qu’accentuer l’insécurité et le taux de chômage, ce qui aura des effets néfastes sur la région.

 

Votre troisième album Black Tenere est aussi engagé que les deux premiers. Qu’est-ce qui fait sa spéficicité ? 

Black Tenere est un album qui évoque l’Histoire de la région, qui se trouve être pétrie de luttes depuis l’époque coloniale. Il relate les exploits de nos ancêtres qui ont résisté face au colonialisme, mais se veut aussi contemporain par rapport à la situation géopolitique actuelle au Sahel. Black Tenere est un hommage à la Tumast, le peuple tamasheq qui souffre de plus en plus de la misère suite à son isolement géographique et socioéconomique. Sorti en 2019, l’album se veut la continuité des deux premiers, un état des lieux acerbe défiant la censure. 


Quel message véhicule votre musique ? 

Ma musique promeut la paix, l’amour et revendique une justice sociale pour les sans voix du Sahel, ceux qui sont loin des médias, ceux qui vivent un quotidien difficile dans le désert aride, confrontés au manque d’eau, à la sécheresse et aux manques soins médicaux. Ma musique est un hymne à la vie et à la résilience.


Initialement publié sur Pan African Music

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