22 Jun
22Jun

Les disparités entre les civilisations anciennes d’Afrique du nord sont nombreuses; cependant, certaines manifestations sociales demeurent analogues comme c’est le cas pour les rituels matrimoniaux, tels que la notion du consentement des époux et des parents, le contrat tacite ou écrit prénuptial, la présence des témoins, la dot et le douaire ou encore le cortège.  

De ce  fait, la cérémonie nuptiale des ksour du Gourara, bien qu’ayant assimilé ces «Permanences* » ainsi que l’ensemble des  règles canoniques musulmanes en matière d’union maritale, conserve néanmoins un nombre de rituels intrinsèques à  la culture zénète; lesquels subsistent jusqu’à nos jours comme c’est le cas pour le rituel matrilinéaire du Assefel.

Communion et imaginaire collectif     

L’Assfel annonce le prélude de la cérémonie des mariages chez les zénètes du Gourara ainsi que pour certains groupuscules arabes ou arabophones qui y vivent et dont l’assimilation à la culture locale constitue un substrat prédominant qui se traduit par l’usage du même dialecte, et la pratique des rites propres à cette communauté.

Interogés sur le sens du vocable,  certains avance que Assfel dérive du mot de l'arabe classique « fâ’al فأل », qu’on peut traduire  par «présage». D'autres sources penchent vers une origine tamazight. Il est à noter que le vocable désigne un rite d'expulsion du mal dans le Djurdjura en Kabylie.  

Au Gourara, la cérémonie qui porte ce nom est indissociable du corpus poétique mis en scène à travers la danse du Izlwen, plus connu sous le nom d’Ahalil. Ce dernier est chanté  lors des communions et rencontres et comprend dans sa représentation tous les aspects de la vie quotidienne des Zénètes.  Ainsi, l’Izlwen, lors du Assfel, verse dans un registre amoureux et lyrique .

L’Assfel  peut être abordé comme un rite de passage à l’âge adulte où l’ont célèbre l’amour, la bonne éducation de l’épousée, et l’épanouissement de sa future sexualité. La cérémonie devient alors un instrument didactique au service de cette initiation. 

À propos du rituel dans un sens général, observons la définition proposée par MARTINE SEGALEN ( auteure de Rites et rituels contemporains) : « un ensemble d’actes formalisés, expressifs, porteurs d’une dimension symbolique. Il est caractérisé par une configuration spatio-temporelle, par le recours à une série d’objets, par des systèmes de comportements et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens caché constitue l’un des biens communs du groupe.» . En effet, l’Assfel s’exprime à travers divers actes allégoriques et objets qui proviennent de l’univers des femmes des ksour; et auxquels on a attribué une fonction surnaturelle.

Les rituels populaires du mariage dans l’Histoire de l’humanité figurent parmi les marqueurs du passage des peuples primitifs aux consortiums organisés. La notion du «Totem » et du «Tabou » figuraient déjà, selon Freud, chez  les premiers peuplements, et marquaient l’union et la procréation; dont les « célébrations » se développèrent par la suite pour aboutir à un ensemble de rites codifiés qui se perpétuent encore de nos jours.

 Symboles et représentations 

Il faut se représenter Assfel comme un acte solennel qui se réalise la nuit et s’ouvre par la mise en place du tassiht*, mot en amazigh pour désigner la pierre à moudre, et qui constitue la pièce maîtresse de ce rituel. Installée au centre, une doyenne du ksar entreprend de moudre le blé : symbole de vie et de fécondité; une semence sacrée pour les sociétés agraires, qui place la culture céréalière au cœur de l’imaginaire du continent africain en général et lybico-berbère en particulier. Notons, que les femmes roulent ensemble le couscous, un mets de circonstances et de prédilection dans la région.

Taslit*, la fiancé  n’assiste pas à l’Assfel, mais ne se trouve jamais loin. La pudeur lui impose de rester à l’abri du regards des femmes mariées. Le droit d’aînesse n’est pas exclusivement lié à l’âge mais au statut de chacune au sein de la société. Il est acquis lors du passage de la jeune femme au statut de mariée.

Les femmes, disposées en cercle, autour de tassiht, entonnent  des chants d’izlwen, le cercle se resserre, la cadence se fait plus rythmée. Bien que n’ayant que quelques notions rudimentaires en zénète, je parviens à déchiffrer des mots tels que «adourigh ayul iuu » (Jouant ! mon cœur ), «tahbibt » (ma bien aimée)…Ainsi, les thèmes liés à la rencontre amoureuse près de la source d’eau sont fréquents. On se demande si on peut y voir une correspondance avec la légende marocaine d’un amour impossible de « Tislit et Isli » ou encore une allégorie au mythe pan-berbère de «Tislit n’Anzar ».

Par ailleurs, cette cérémonie est strictement interdite aux azara (célibataires). Les trois jours des noces se déroulent sans que les « n’sawin » ( femmes ) ne côtoient les « t’fakhatin » (jeunes filles ). Ces dernières pourront prendre part à une autre étape du mariage, celle du Ezhou, qui verra s’installer un autre registre musical; moins soutenu, plus saccadé et bercé par les rythmes des instruments de percussion locaux tels que : derbouka et târa qui accompagnent le vacarme de la joyeuse procession pour escorter la future mariée à la demeure de son époux. La coutume veut qu’on finisse par se rendre au mausolée du saint patron du ksar pour bénir l’union.

Il est à noter que le cortège, tel qu’il est observé chez différentes sociétés, obéit aux même mécanismes. « Au niveau sociologique il est certain que le tapage, au cours du cortège, a une fonction de publicité […] il faut que la communauté locale toute entière soit avertie de cette nouvelle union; c’est pourquoi le cortège de noces parcourt bruyamment le territoire afin d’en avertir les autres membres de la communauté de cet événement » souligne l’anthropologue Nicole Belmont.

Bien que certains rites tendent à disparaitre dans les oasis du Gourara, comme c’est le cas pour l’oasis cosmopolite de Timimoun, ils demeurent encore vivaces dans des ksour enclavés et conservateurs.

Leila Assas      

 

Bibligraphie : 

  1. Belmont Nicole. La fonction symbolique du cortège dans les rituels populaires du mariage. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 33ᵉ année, N. 3, 1978. pp. 650-655;
  2. Marion JACQUET, Les symboles de l’engagement dans les rites nuptiaux, de l’Antiquité à nos jours par Marion JACQUET sous la direction de M. Christophe COUPRY, colloque !
  3. Peyron, S. Chaker et T. Oudjedi, « Izli », in 25 | Iseqqemâren – Juba, Aix-en-Provence, Edisud (« Volumes », no 25) , 2003 [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 07 avril 2015. URL : https://   encyclopedieberbere.revues.org/1459
  4. MARTINE SEGALEN,  Rites et  rituels  contemporains, Armand  Colin, 2009(2° éd.),  25.
  5. Sigmund Freud, Totem et tabou – interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs , Ed. Payot, Paris 1976

Images : Femmes du Gourara » de Françoise Saur, éditions Médiapop, 2014


Glossaire:

tassiht*, se prononce tissiht dans d’autres régions amazigh

  Taslit* : la fiancé, se prononce tislit dans d’autres régions amazigh

« Tislit et Isli», une légende marocain


Initialement publié sur  Babzman 



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