Que savons-nous de l'algérianité d'Apulée ? Un nom : Afuley.
De l'époque d'Apulée à celle de Dib, la littérature algérienne a toujours maintenu un dialogue complexe avec la culture du colonisateur. La littérature berbère d'expression latine, incarnée par la figure controversée de l'orateur et homme de lettres Apulée de Madaure — auteur des Métamorphoses (123-170 ap. J.-C.) — soulève des questions sensibles d'identité et d'enchevêtrement culturel : la langue de l'autre et l'intertextualité qui en découle, à travers l'imaginaire et les correspondances véhiculées.
En opposition aux auteurs pieds-noirs de l'École d'Alger et du mouvement des Algérianistes, qui ont souvent occulté la figure de "l'autochtone", les premières plumes algériennes d'expression française, dites "musulmanes" ou "indigènes", émergent dès les années 1920, inspirées par l'oralité algérienne. Parmi eux, on peut citer Slimane Ben Brahim, Ahmed Ben Mustafa, Caïd Ben Cherif, Abdelkader Hadj-Hamou, ainsi que Jean Amrouche et Marguerite Taos Amrouche.Bien que cette littérature ait été perçue comme une "littérature d’assimilation" en raison du choix de la langue, elle n’a cessé de se transformer. Comme l’a souligné le professeur Charles Bonn, spécialiste de la littérature maghrébine d’expression française, "son histoire est indissociable de celle, complexe, contradictoire et passionnelle, des relations entre l’Algérie et la France", et cette littérature est aujourd’hui lue des deux côtés de la Méditerranée.
À la veille de la révolution de 1954, une pléiade d’auteurs algériens d’expression française, influencés par la littérature ethnographique, livrent une critique sévère de la condition du peuple colonisé. Parmi eux, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et Mohamed Dib, ce dernier écrivant dans sa trilogie Algérie : La Grande Maison(1952) ; L’Incendie (1954) ; Le Métier à tisser (1957) : "Des gens parvenus au point où ils ne sont rien, où ils sont zéro... ne pourraient faire qu'une chose : réclamer tout." Ces œuvres, rédigées avant et pendant la Révolution, font écho à la détresse d’un peuple en quête de justice.
Durant la Révolution, le discours littéraire se radicalise, avec pour mot d’ordre le nationalisme. Des figures telles que Kateb Yacine, Assia Djebar et Malek Haddad illustrent cette période. Haddad écrit par exemple : "L’école coloniale colonise l’âme... Chez nous, c’est vrai, chaque fois qu’on a fait un bachelier, on a fait un Français." Il poursuit : "Je suis moins séparé de ma patrie par la Méditerranée que par la langue française." C’est cette crise identitaire qui nourrit une littérature militante, étroitement liée à la Révolution. Parmi les figures emblématiques de cette époque, on compte également Frantz Fanon, sympathisant du FLN, qui publie en 1959 L’An V de la révolution algérienne, un essai décisif.
Vers une rupture épistémologique
L’après-indépendance conserve des accents révolutionnaires, parfois teintés de propagande. Des auteurs comme Leïla Aouchal, Ahmed Akkache, Rachid Mimouni, Amar Metref ou Yamina Mechakra continuent d’évoquer la Guerre de Libération et ses répercussions. Dans La Grotte éclatée (1979), Mechakra illustre le rôle de la femme durant la guerre et explore, à travers l’allégorie de la grotte-matrice, la marginalisation post-indépendance des femmes.
Une rupture se produit avec l’œuvre de Rachid Boudjedra, scénariste de Chronique des années de braise (1975) de Mohammed Lakhdar-Hamina. Ce film met en scène des personnages piégés par une société patriarcale dominée par le religieux et le conformisme. En 2013, cinquante et un ans après l’indépendance, Kamel Daoud rouvre les blessures coloniales et interroge le passé dans Meursault, contre-enquête, un roman qui dialogue avec L’Étranger de Camus.
Leila Assas
Sources :
Initialement publié sur la Revue Babzman, Hors Series, ( Novembre| Decembre 2016)