15 Nov
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Elle fut Pomaria, la romaine mais aussi Taghrat et Agadir l'amazigh. Nous l'appelons de nos jours Tlemcen. Son nom actuel tire son origine du mot " tala" en tamazight qui signifie:  la source ou la fontaine. La ville connut diverses mutations au contact de différents pôles médiévaux tels que de Tolede, Fès, Béjaïa, Constantine, Kairouan et Baghdad.

Ville du rayonnement culturel, du raffinement et de l'exhalation des arts tels que l'artisanat et la musique qui se manifestent à travers divers aspects socioculturels. Les correspondances et metissages avec les hispano-mauresques et la culture arabo-andalouse ont donné naissance à des genres musicaux typiquement tlemcéniens. Ainsi, " Tandis que les hommes s'adonnaient à la musique classique andalouse, héritage direct de Cordoue et de l'Andalousie, les femmes chantaient, á travers le hawfi, les beautés de la nature et l'amour de la vie», souligne feu Si Djelloul Benkalfate, l'ancien président de l'Association artistique et musicale de Gharnata et auteur de "Il était une fois Tlemcen", récit d'une vie, récit d'une ville.
genèse et hypothèses

Le hawfi est un répertoire de tradition orale chanté. Il est exclusivement féminin et de structure en tercet, en quatrain ou septain. Les corpus, appelés tahwifat, sont des courts poèmes dont les auteurs sont anonymes. Ibn Khaldoun y fit mention dans son célèbre ouvrage "Muqaddima" rédigé en 1377. Il le décrit comme étant un genre littéraire prisé à Baghdad et analogue au répertoire maghrébin « Aroud el-balad », ce dernier combine une structure reposant à la fois sur un parler dialectal maghrébin et le système métrique du philologue d'Al-Khalil; considéré comme le réformateur de la poésie classique arabe (VIII' siècle Julien-II siècle Hégire).

Le hawfi tlemcénien pourrait être, en ce sens une conséquence sociohistorique directe de l'exode des Maures suite à la chute de l'Andalousie en 1492. Cela pourrait être également, une éloquente manifestation « Voyages des idées » qu'a connu le monde musulman médiéval où l'Andalousie incarnait le foyer d'un rayonnement observé des deux rives de la Méditerranée.

Les inspirations du hawfi sont puisées dans les modalités poétiques des genres El-muwachah et du Zajál andalous. Les thèmes sont également foncièrement rattachés à l'imaginaire andalou. On y évoque l'amour courtois à l'ombre des jardins enchantés. L'amandier, la vigne, le grenadier et divers fruits murs représentant une allégorie au goût prononcé pour le luxe et la volupté.

Tahwifet constituent une fenêtre entrouverte sur la cour et l'imaginaire de la femme tlemcénienne laissant percevoir sa culture, son quotidien, ses aspirations, sa vie sentimentale et son penchant pour le luxe tel que le montre leur goût pour les perles d'Alep, les caftans les Louis d'or, souligne le chercheur C. Ougoag dans un article sur le thème des tahwifet. Il y met en exergue la valeur socio-culturelle des Tahwifet comme suit : « Ces romances chantées, au moment de loisirs en plein air, n'en demeurent pas moins l'expression de préoccupations sous-jacentes d'attitudes, de réponses à des actes ou attitudes de leur entourage, de leur société, d'aspiration, de rêves et de chimères et qui sont en quelque sorte un certain reflet de la société tlemcénienne à une époque donnée ".


La poésie, un espace d'expression

Ces poèmes peuvent accompagner l'imaginaire magico-religieux des femmes tlemcéniennes. La composante universelle de l'art divinatoire à travers le culinaire, le musical et le poétique se matérialise ici à travers le rituel " Roûh el-ghrib ". Car, selon la légende, le Hawfi trouve son essence chez Roûh el-ghrib, un poète errant qui fut puni pour avoir un jour regardé, de loin, les filles se baigner à la source d'El-Ourit.

En mémoire de ce poète mystérieux, au printemps, les femmes se rendent près de la source d'El-Ourit et réalisent souper du sort» ( A'chat al-fal ), composé principalement de couscous. Ce rituel se déroule comme suit : les femmes prélèvent sept bouts de laine de sept chéchias, un gland de sole, un bout de dum, des graines de coriandre et du benjoin, jettent le tout au feu en récitant des Tahwifet, elles prennent soin de choisir des poèmes dont les thèmes concordent avec leurs aspirations: amour, gloire et beauté. Toute femme désirant l'accomplissement d'un oracle prend une clé de la main gauche et une poignée de couscous sec préparé par une jeune fille plus tôt dans la soirée dans la main droite. La poignée de cemets est dispersée au gré des vents à travers la terrasse.
On y chante du Hawfi en jouant à l'escarpolette, ce jeu ludique, très prisé chez les jeunes femmes, souligne la dimension surnaturelle liée à la transe et à l'étourdissement. Les langues se délient et le verbe s'exalte. Ce canal de communication subtile et imagé traduit les aspirations et inspirations des femmes: Des alliances sont tissées, des rixes sont attisées et des comptes sont réglés. Voici un hawfi en ce sens  « Ma fille est sur la balançoire, vêtue de son caftan écarlate On a envoyé à son cousin pour qu'il vienne à temps et lui offrira cent pièces d'or et des perles d'Alep, offrira cent pièces d'or et la négresse qui élèvera (les enfants). »


Un art à dimension socioculturelle

L'anonymat des auteurs du Hawfi ainsi que l'absence de sa fixation par écrit rendent difficile sa datation. Ainsi, ce n'est qu'à travers une étude sémiologique endogène que nous pouvons cerner éléments du paratexte. Par exemple, les strophes suivantes: "Lamour, nul ne peut l'interdire, ni Bey, ni Sultan". Nous pouvons établir la période de sa composition, en occurrence l'époque dite ottomane.

Une exaltation de l'individualisme et de l'amour passionnel transparait dans plusieurs poèmes : « Te dirais-je, ô madame, ce qu'est l'amour entre voisins! » Cette révolte de l'ordre patriarcal préétabli laisse sous entendre une réforme de la pensée, selon le chercheur C. Ougag, car de la fille docile qui perpétue la tradition des unions consanguines à la jeune tlémcenienne passionnée et révoltée, un pan d'Histoire fut transcrit, ajoute en ce sens « La valorisation de l'amour devient de plus en plus autorisée et même suggérée et encouragée : l'individu, ses sentiments et sa volonté prenant de plus en plus de place aux dépens de la famille traditionnelle, de la collectivité à laquelle il est lié.» 

Exemples:
« Ö nuit, nuit noire, nuit traîtresse. Madame ma mère m'a interdit, la terrasse et le seuil de la porte. Le mariage au fils de l'oncle est traîtrise sur traîtrise. Le mariage au fils de l'oncle maternel est brûlure sans même un cautère. Quant au mariage avec un étranger, c'est comme du lait dans une coupe de cristal. »

Ou encore " Je marchais dans le jardin me cachant dernière l'amandier, j'ai vu un jeune homme, tenant à la main un vase bleu, il portait une chéchia tunisienne qui laissait luire son front rasé.  Pour lui j'abandonnerais l'enfant, pour lui je me ferais répudier.»

La première artiste professionnelle qui porta ce genre poétique à la scène internationale est Cheikha Tetma suivie d'artistes masculins tels que Larbi Bensari, Abdelkrim Dali et Sami El-Maghribi qui figurent parmi les illustres noms de la scène musicale andalouse qui redonnèrent au Hawfi ses lettres de noblesse.

De nos jours, à l'instar  des Medahat, du Ashwiq et l'Imzad, El-Hawfi ainsi que divers aspects de la poésie féminine de tradition orale algérienne demeurent peu étudiés et peu portés à l'universalité. Ce trésor reste l'apanage des foyers et des cérémonies.


Leila Assas


Sources:

Georges Marcals, Les Villes d'art cores T Renouard H Laurens Pain 2950
Yelles-Chacuche Mourad Leto pome tradition ofale au Moghrea OPU Yelles Mourad Sorties tortilages de h Paris 1995
C Ougoag dans son article intuleQueu de la vi féminine traditionele & Tie exemples ronalices tahi pan den
tome XXV 1977
Mohammed Habib Hachata chama d'Algene (eta éditions Alpha Design Age Alaoui Amina Peter Husque auto min initiatique La Pensee 2 76-30 

Gaston Casimir Saint Pierre peinture


Initialement publié sur la revue Babzman

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