Izlwen n’ Tigourarin (les chants du Gourara), du singulier izli, sont des corpus poétiques du Gourara, et font partie de la grande mosaïque de la poésie berbère. Bien qu’hétérogène dans ses structures et formes d’expression, cette dernière conserve néanmoins les fondements d’une norme commune véhiculée à travers les thématiques abordées et les représentations d’un imaginaire collectif.
Échos lointains
Izlwen n’ Tigourarin représentent la forme antéislamique de l’actuel Ahalil. Cette musique emblématique du Gourara a été portée à l’universalité grâce aux travaux de Mouloud Mammeri, qui lui consacre plusieurs ouvrages et la définit comme suit : "Manifestation à la fois musicale, littéraire et chorégraphique célébrée comme un spectacle profane en même temps qu’une cérémonie quasi religieuse". Il faut savoir que l’enchevêtrement de la dichotomie redondante "sacré / profane" est souvent abordé pour désigner ce genre poétique. L’origine antéislamique, perçue à travers l’évocation des thèmes amoureux et jugée profane, a été évoquée par Mammeri qui soulève les diverses influences ethnico-théologiques : amazigh, judaïque, chrétienne, et kharidjite. Toutes antérieures à l’islam sunnite dans la région, aujourd’hui courantes dominantes.
Le chercheur Mohamed Salem Benzayed n’opère aucune distinction entre "l’Ahalil" et "Izlwen", et énumère d’autres appellations telles que "el Ogroud", "el H’dar". Il convient de préciser que l’usage du vocable "izlwen", dans les ksours enclavées du Gourara, tels que Toki, Deldoul ou encore Charaouine, est très fréquent. Et la distinction entre Izlwen et Ahalil y est marquée par l’aspect religieux de ce dernier. Les Izlwen sont donc une sorte de palimpsestes antiques, disposant d’une forme dominée par le registre religieux depuis l’implantation de l’islam "orthodoxe" des churfa venus du Tafilelt au Maroc dès le XVIe siècle.
Héritage immatériel du pan berbère
La racine [IZL], attestée dans l’ensemble de l’aire linguistique, littéraire et culturelle amazigh, renvoie à une forme de poème lyrique très court, souvent chanté par un chœur féminin lors des « joutes poétiques ». On le retrouve chez plusieurs tribus amazighes telles que les Rifains et les Chleuhs marocains, les Kabyles, les Touaregs et les Zénètes du Gourara. Le plus emblématique " izli " est l'idylle marocaine de " Isli et Tislit ", voici un vers :
« Je te jure que tu m’as séparé de ma tête Et que les gens passent sans que je les reconnaisse »
Il ne s'agit pas d'une forme poétique figée mais plutôt d'une multitude de variantes. « Izli signifierait-il désormais, ou selon certaines régions, un poème d'expression amoureuse. Il n'est pas exclu que ce terme ait connu une spécialisation de son sens pour ne désigner qu'un type de chant. » souligne Mohand Akli Salhi, chercheur au Département de langue et culture amazighes de l’Université Mouloud Mammer (Tizi-Ouzou), dont le domaine de recherche est principalement axé sur les corpus kabyles.
La mainmise et la domination des agents religieux incarnés par la voie mystique n’ont pas pu éradiquer les pratiques et rituels des Ksouriens Zénètes. L'Izli cède la place à l'Ahellil qui serait donc devenu une sorte d'instrument pédagogique; mais conserve des traces indélébiles d'un imaginaire profane et érotique.
Leila Assas
Bibliographie :
Initialement publié sur Babzman