02 Oct
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À l'initiative du gouvernement algérien, avec le soutien de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), le Festival Panafricain d'Alger de 1969 avait pour objectif de rassembler la diversité de l'Afrique dans la capitale algérienne pour célébrer les cultures du continent tout en réaffirmant l'engagement en faveur des luttes anticoloniales. Ce Panaf fut véritablement une belle utopie.

Bien que pluridisciplinaire et résolument politique, le festival accorda une place centrale à la musique au sein de ses manifestations. La foule enthousiaste a pu découvrir des spectacles de rue mettant en scène danses et chants traditionnels venus des quatre coins de l'Afrique, ainsi que des artistes internationaux africains et de la diaspora, tels que Nina Simone, Barry White, Archie Shepp, Lester Bowie, Hank Mobley, Joe Jones, et bien d'autres.Durant ces dix jours de l'été 1969, Alger s'est enflammée. De nombreux Algériens évoquent encore cet épisode avec une euphorie non dissimulée et une nostalgie palpable. 

Le festival continue de nourrir l'imaginaire collectif et de susciter des débats passionnés, en grande partie grâce au documentaire éponyme réalisé par le cinéaste franco-américain William Klein, qui a immortalisé le souvenir du Panaf dans nos mémoires.Ce qui devait à l'origine être une simple commande pour capturer les moments clés de l'événement s'est transformé en une œuvre culte, un film-essai dans la tradition du cinéma soviétique du siècle dernier. William Klein a su saisir l'atmosphère du Panaf et nous replonger dans le contexte politique de cette époque, marqué par les luttes anti-impérialistes.

« Jazz is an African power »


C'est lors du Panaf 69’ que l'imagerie forgée par le gouvernement algérien, celle de l'Algérie en tant que « Mecque des Révolutionnaires », a pris tout son sens. »Cette image a été renforcée par la participation de plusieurs mouvements indépendantistes africains, tels que la South-West African People’s Organisation (SWAPO) de Namibie, le Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) dirigé par le charismatique Amilcar Cabral, le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola (MPLA), le Fatah (Mouvement de Libération de la Palestine), ainsi que le mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine des Black Panthers, qui cherchait à renouer avec le continent d'origine. Ils ont tous inscrit leur participation dans un prisme axé sur la dualité politique et culturelle. Eldridge Cleaver, ministre de la Communication des Black Panthers, a déclaré : « L'africanité doit éviter une expression complaisante et stérile du passé, mais plutôt s'efforcer d'innover, d'adapter la culture africaine aux exigences modernes du développement économique et social harmonisé. »

La militante anti-apartheid Miriam Makeba, qui était l'épouse de Stokely Carmichael, un autre membre influent des Black Panthers, était également présente. Elle a interprété son hymne à la liberté « Ana hora fil Djazair » (Je suis libre en Algérie). Exilée en Guinée en raison de ses positions contre le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, elle a obtenu la nationalité algérienne lors de ce festival et a continué à parcourir le monde pour défendre la cause de Nelson Mandela, incarcéré depuis le 5 août 1962. 

Un autre moment marquant du festival a été la déclaration solennelle d'Archie Shepp, le jazzman : « le jazz est une puissance noire, le jazz est une puissance africaine ! ». Accompagné sur scène par des musiciens algériens, il a plus tard témoigné de l'intensité de ce moment en tant qu'Africain de la diaspora.Le festival a également donné naissance à une riche production musicale, capturée pendant et après l'événement. Parmi les enregistrements notables figurent la trilogie de musiques traditionnelles capturée par l'ethnomusicologue Roberto Leydi, intitulée "African Rhythms and Instruments" Vol I, II et III (Lyrichord), ainsi que plusieurs disques enregistrés à Paris dans les mois qui ont suivi le Panaf. Au total, douze albums ont été produits par le label BYG/Actuel. Archie Shepp lui-même a enregistré non pas un, mais trois albums à quelques jours d'intervalle : « Yasmina », « Poem for Malcolm » et « Blasé », ce dernier étant considéré par beaucoup comme le plus abouti des trois. On trouve également l'album « Ketchaoua » de Clifford Thornton, en référence à la mosquée Ketchoua située dans le quartier historique d'Alger où il a donné un concert lors du Panaf, ainsi que l'album "Hommage to Africa" (1970) de Sunny Murray.

Initié à une époque charnière de l'histoire de l'Afrique, le Panaf 69' a profondément marqué les esprits et demeure l'une des plus grandes manifestations panafricaines de l'Algérie. Cet événement fédérateur a abouti à la rédaction du Manifeste Culturel Panafricain lors du symposium du festival, articulé autour de trois axes : les réalités de la culture africaine, le rôle de la culture africaine dans les luttes de libération nationale et dans la consolidation de l'unité africaine, ainsi que le rôle de la culture africaine dans le développement social de l'Afrique.Une seconde édition du Panaf a été tentée en 2009, dans l'espoir de raviver l'esprit du Panaf original, mais en vain.


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