27 Apr
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Dans l’imaginaire collectif universel, le désert évoque cette vaste étendue aride et inhospitalière où la vie y est extrême, difficile voire impossible. Du désert polaire Arctique et antarctique, au désert de Gobi, en passant par le désert de Sibérie; les particularités varient. Certains sont rocailleux, d’autres sableux ou neigeux.

Au second degré, le vocable renvoie inéluctablement à une représentation péjorative : à l’absence, tel le désert intellectuel ou émotionnel.


Le Tanezrouft «un désert dans un désert»

En Algérie, le désert  représente plus de 80 % du territoire  national, cela correspond à plus de deux millions kilomètres carrés. Appelé également Sahara ou Ténéré, ce désert est multiple. La  diversité de la faune et de la flore est due aux ressources hydrauliques souterraines ayant contribué à la création d’écosystèmes et à l’implantation ethnique tantôt nomade, tantôt sédentaire; citant parmi elles les  gélules et les garamantes. Ce vaste territoire fut la terre promise des civilisations antiques depuis le néolithique. Il est immérité de le qualifier de « désert ».

Il existe, cependant, une zone stérile d’extrême aridité appelée el Tanezrouft et qui signifie le « Pays de la soif » en langue tamaheq. Ce lieu représente le désert absolu « un désert dans un Désert ». Situé à l’ouest  du massif du Hoggar, sa route commence au nord du Tidikelt et se poursuit jusqu’aux limites du pays d’Azawad et de la Mauritanie.

tan 1Les images satellitaires l’indiquent  clairement sous forme triangulaire. On peut alors penser que l’expression populaire « El telt el khali »,  littéralement  le triangle vide et évoquant dans le parler algérien : une contrée lointaine et inhabitée, où les êtres vont en risquant de ne jamais revenir; soit inspirée du Tanezrouft qui pourrait être ce lieu-dit, plat sans reliefs, dépourvu de toute présence animal, végétale ou humaine. Le néant. Cette expression est analogue à « rub el khali » « le Quart Vide » qui désigne le désert de la péninsule arabique qui présente des caractéristiques analogues au Tanzrouft.

Hostile et inhabité, le Tanezrouft demeure toutefois un passage certes rude mais inévitable pour les caravanes touareg qui  l’empruntaient pour se rendre à Taoudénia et Teghza au Mali :  deux pôles d’exploitations légendaires de la route de « l’Or blanc» : le sel de gemme. Cette traversée durait environ trois semaines. Seules Etran (étoiles) et les constellations guidaient les pas des méharistes qui, tout comme les marins, ont appris à observer les cieux  pour sillonner le désert. De retour chez eux, les méharis arrivaient chargé de biens : sel, denrées et esclaves. Les plus vaillants d’entre eux seront auréolés de gloire, et leurs exploits seront chantés pour que leurs actions d’éclats s’inscrivent dans la postérité.


« 1400 km d’inconnu, dont mille sans eau »  

Nous sommes loin de l’ère d’Hérodote, de Marco Polo, d’Ibn Batouta, de René Caillé et de Levis Strauss; ces explorateurs curieux et humanistes qui laissent entre-ouvertes des fenêtres sur un monde insoupçonné et des terres inconnues. 

À l’inverse du voyageur-touriste, qui se distingue par son attrait pour le risque et l’inconnu, « l’explorateur accepte le « danger » inhérent à son entreprise et souvent omniprésent, quand le simple voyageur n’a au contraire, de cesse de chercher à le réduire voire à le supprimer ».

Surnommé « terre de la terreur », El Tanzerouft a suscité depuis le début du siècle dernier, l’intérêt et nourrit les fantasmes des explorateurs occidentaux avides d’aventures, de voyages, de mystères et de danger. Le pionnier d’entre eux fut le dénommé lieutenant Cordier qui, en 1913 rendit compte dans son carnet de voyage de ses impressions en décrivant  la région en ces termes : « 1 400 km d’inconnu, dont mille sans eau ».

En février 1926, les frères Estienne, dont l’un fut chef de la mission                « Algérie-Niger » pour le compte de la Compagnie Générale Transsaharienne, balisent la piste du Tanezrouft grâce à deux points de repères situés entre Reggane et Bordj-Badji-Mokhtar. Depuis, ce sont des points de contrôles militaires baptisés Bidon V et PK200.

L’exploit suprême revient au naturaliste Théodor Monod, spécialiste du Sahara. En 1934, il réalisa une traversée à pied du Tanezrouft pour se rendre à Chinguetti en Mauritanie. Il en dira : « In Dagouber, c’était jusqu’à présent, l’extrême limite de la zone connue, vers le nord-est, en direction du Sud algérien. Au-delà, le Tanezrouft, désert intégral, ignoré des « indigènes » eux-mêmes. Il faut pourtant se décider à aller voir ce qu’il y a dedans, et s’il n’y a rien, à aller voir qu’il n’y a rien, de façon à en être sûr. » 

L’exploration du Tanzeouft devint depuis non pas sans risques mais envisageable. En 1936, un phare baptisé pharetan « Vuillemin » et haut de 32 mètres, a permis l’exploration aérienne du Tenzeouft, jusque la estimée extrêmement  périlleuse; puisqu’elle coûta la vie au Capitaine Lancaster dont l’avion s'est écrasé en 1933 et n’a été retrouvé que 29 ans plus tard. Des  raids baptisés « sur les traces de Lancaster » sont organisés jusqu’à nos jours.

« Les voyages sont des moments particuliers de l’existence pendant lesquels nous sommes confrontés, de façon plus explicite, à l’espace ». De nos jours, voyage rime avec tourisme : un simulacre d’exploration auréolé d’exotisme car quand bien même les contrées que nous visitons sont lointaines, elles sont démystifiées et balisées. El Tenezrouft reste mystérieux, l’aborder relève de l’ordre du défi. « La piste » comme l’aime l’appeler les contrebandiers demeure une énigme. 

Leila Assas 

Sources :
Arlette Estienne- Mondet, Ligne du Hoggar, Paris, Philippe Chauveau,‎ 2005
Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, Académie des sciences
(France), 1939, Gauthier-Villars.
Théodor Monod - Les Déserts, Horizons de France, Paris 1973
Cyrille Monod, - Les Carnets de Théodore Monod , Le Pré aux Clercs, 1997
http://www.moncelon.com/desertenverite.htm
www.britannica.com/place/Tanezrouft

http://www.3emegroupedetransport.com/WilliamNewtonLANCASTER.htm
BAILLY, A., SCARIATI R., 1999, Voyage en géographie, Anthropos
AUGÉ, M., 2000 [1997], L’impossible voyage – Le tourisme et ses images, Rivages poche/Petite
bibliothèque
BRUNEL, S., 2006, La planète disneylandisée, Sciences humaines éditions
GAY, J.-C., 2008, « Tourisme, interfaces et discontinuités », Les interfaces - Ruptures, transitions et
mutations, Presses universitaires de Bordeaux, Espaces tropicaux, n° 19
Citation 1 Bruno Lecoquierre - L’usage du voyage en géographie
Citation 2- Bailly, Scariati


Initialement publié sur Babzman


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