La musique algérienne, très éclectique est intimement liée au terroir de chaque région ou groupes éthniques, de ce fait, elle est à la fois autotélique dans son exécution mais aussi analogue dans son fonctionnement social, oscillant entre le savant et le populaire, le sacré et le profane.
Les répertoires musicaux et les danses traditionnelles témoignent de la richesse et la diversité culturelles du pays.
L’Andalou, musique citadine repartie sur les grandes villes Tlemcen, Alger, Blida et Constantine
La musique andalouse algérienne est l’héritière de l’Espagne musulmane dont les plus grandes écoles furent Cordoue, Séville et Grenade. Les brassages culturels entre l’Afrique du Nord et l’Andalousie sont nombreux et cela bien avant la chute de l’Andalousie et l’exode massif des Morisques et Juifs Sépharades, après la Reconquista catholique en 1492, qui s’établissent dans des villes telles que Tlemcen en Algérie, Fez au Maroc créant des foyers socio-culturels pour se diffuser par la suite dans plusieurs villes citadines nord africaines.[1]Cette musique savante, symbole de raffinement, s’est d’abord transmise oralement de génération en génération, reposant sur le système modal de la nouba composée d’une succession de muwachahat dont les thèmes récurrents sont l’amour, l’ivresse et la contemplation de la nature. Il existe, de nos jours, trois grandes écoles en Algérie : le Ghartani (Tlemcen), Çanaa (Alger) et Maalouf (Constantine) ainsi que de nombreux sous-genres caractérisés par l’emploi de la langue usuelle soutenue (la darja), comme el Hawzi, el Malhoun, el aroubi et les orchestres andalous contemporains sont composés d’instruments à corde tel qu’el oud, el qanun et la kouitra ainsi que la derbouka, el tar (percussions) et le ney (flute d’origine persane). Parmi les poèmes de l’Andalou les plus connus, citons, Tadallaltou fi el boulden du grand maitre soufi andalou Sidi Boumedien.
Al-ferda, musique typique de la région de la Saoura, principalement l’oasis de Knadssa
Al ferda est un genre poétique musicale communautaire à caractère religieux propre à l’oasis de Kenadssa à Bechar (sud-ouest). Il émerge dans les zaouïa[2] de tradition mystique soufie. El ferda signifie littéralement la paire de chaussures en référence à celle utilisée par le percussionniste pour amplifier le son du tambour, une des pièces maitresses de ce genre musical. Traditionnellement, l’orchestre se réunit en demi-cercle, le soliste soutenu par son chorus, exécute un prélude, puis une liturgie et enfin des louanges au Prophète de l’islam Mohamed. Dans les années 90' un groupe au nom éponyme et son charismatique leader Larbi Bastam fait sortir cette musique intra-muros pour la diffuser et la moderniser en introduisant de nouveaux instruments tels qu’el oud, le banjo et le violon. Parmi les textes les plus connus nous citons « Ana sewelt nefssi », « Cheick Benbouziane » et « Ya krim el kourama ».
Ahellil, région berbérophone oasienne du Gourara
L’Ahalil est le répertoire le plus connu des izlwen (poèmes amazigh chantés) du Gourara. Classé patrimoine mondial de l’humanité́ de l’Unesco en 2005 grâce aux travaux de l’anthropologue berbériste Mouloud Mammeri et son guide Mouley Timmi. Ce genre musical, datant de la période antéislamique, a été enrichi et nourri au fil du temps par divers apports ethnico-théologiques : la culture orale zénète berbère[3], la tradition judaïque et ensuite musulmane ibadite puis sunnite.[4]L’Ahelil se joue debout, en extérieur lors des fêtes, mariages et célébrations cultuelles, il chante la gloire des saints patrons et figures historiques de la région. En d’autres termes, il est la mémoire vivante de l’intelligentsia ksourienne du Gourara. En demi-cercle, épaule contre épaule, le chœur est dirigé par un abashniw ou tabashniwt au féminin (soliste), accompagné d’un joueur de tamja (instrument à vent) et aqellal (percussion). L’ensemble musical entonne des chants et des louanges. Autrefois mixte, cette pratique tend à disparaître. Dans sa forme intimiste appelée tagraaabt, il se joue assis, l’adgha (une pierre plate frappée par deux petites) et le bengri (instrument à corde analogue du gumbri gnaoui ou encore du ngouni ) remplacent la tamja et l’aqqellal. Tard le soir, au moment de l’Itran (étoiles), les thèmes lyriques priment sur le religieux, c’est le moment où les azara (jeunes célibataires) sont exclues de l’assemblée.
El Bedoui el Wahrani, dans la région de l’Oranie nord-ouest
Le Bedoui el Wahrani est un genre musical rural caractéristique de l’Oranie (région ouest de l’Algérie). Joué lors des waadat (fêtes agraires et célébrations cultuelles), il est issu de la classe paysanne, dont la vie fut autrefois ponctuée de périodes de transhumance (achaba) et des phases sédentarisation dans les douars (villages). Reposant sur les corpus poétiques du melhoun (poésie populaire maghrébine qui émerge à partir du XVI siècle), il incarne la rencontre du système métrique arabe et la mélodie rurale berbère avec el guesba (flute berbère) et el guellal (derbouka) dont les racines seraient une des résultantes des mutations socio-culturelles suite à la ruée des tribus hilaliennes vers l’Afrique du nord au milieu du XXI siècle.[5]Parmi les bardes les plus chantés en bédoui el wahrani, nous citons Mostefa ben Brahim dont les textes ont traversé des générations, repris par des chantres tels que Cheick Snoussi et Cheick Hamada au début du siècle dernier et plus tard Blaoui el Houari, Ahmed Saber et Ahmed Wahbi qui interpréta magistralement « Zendha ychali, Yamna el aádra », « Seraj ya fares el ltam » et « Ya Ben Sidi ou Ya Khouya », des textes lyriques et épiques qui inspirent encore de nos jour.
Ashwiq, musique de la Kabylie
L’Achwiq est une musique traditionnelle de la Kabylie (nord Algérie), chantée à capella, et exclusivement féminine. Cette musique, à l’instar de l’ensemble des traditions orales de l’Algérie est métaphorique et hautement allégorique, on y chante l’amour, le deuil, et la nostalgie des temps révolus. Sous forme de joute verbale, elle se veut une longue complainte mélodieuse qui relate l’imaginaire collectif et le quotidien de la femme kabyle : ses joies, ses peines, ses inquiétudes et ses amours. Beaucoup de chanteuses se sont illustrées dans cet art comme Lalla Yamina, Na Cherifa, ainsi que Na Nouara, la mère du chanteur engagé, feu Maatoub Lounes dont elle fut une des sources inspirations. L’Ashwiq, cet art très ancien a encore le vent en poupe, Thanina, la digne fille de son père, Idir le monument de la chanson kabyle, qui nous a quitté en 2020, en est une louable héritière.
Danse rahaba, de la région berbérophone des Aurès
El Rahaba est un chant et une danse collective traditionnelle emblématique des Aurès, berceau des tribus amazigh Chaouias dont les foyers sont Khenchela, Oum el Bouaghi, Arris et Batna. Rahaba signifie littéralement bienvenue en langue arabe, cette danse communautaire est pratiquée lors des célébrations et fêtes traditionnelles. Mixte autrefois, elle est quasi exclusivement masculine de nos jours et se joue en deux rangs serrés dont le chant et les pas des danseurs donnent le tempo, accompagnés de bendir (tambour) et gasba (flute). Le répertoire oscille entre le solennel, l’amoureux et l’épique marquée par l’usage du fusil, glorifiant ainsi le passé guerrier de la région. Les textes servent aussi de biographie des plus illustres du terroir telle que la guerrière berbère Fatma Tazoughert, Lalla Icha Zekka Ziqun dite la Muette et tant d’autres. Parmi les poètes les plus emblématiques du genre, il y en a un qui, sans conteste, reste le maitre, il s’agit de Aissa el Djarmouni, il est le premier chanteur africain à se produire à l’Olympia de Paris en 1937.
Imzad, Ahaggar et N’ajjer (sud-est)- tribus berbères Touaregs
L’imzad est l’ultime expression du raffinement de la femme touareg, tribu reparti entre l’Algérie, le Niger, le Mali et la Lybie, dont les foyers en Algérie se situent dans l’Ahaggar, la région du Ajjer et le Tidikelt (extrême sud-est). Réservé à la gente féminine, le degré de maitrise du jeu de l’imzad est signe de distinction et d’élégance, ainsi des doyennes telles que Khaoulen de Kel Enaden de l’Ahaggar jouissent d’un statut privilégié parmi les siens. Cette musique thérapeutique, hautement codifiée[7], est régie par des codes sociaux rigoureusement respectés. L’imzad tire son nom de l’instrument à corde qui l’accompagne, une mono vièle, fabriquée à partir d’une demi-calebasse recouverte d’une peau. Inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2013 au nom de l’Algérie, le Mali et le Niger, les savoir-faire liées à ce registre poétique sont transmis oralement de génération en génération.
Ref :
[1] https://www.insaniyat.crasc.dz/pdfs/n_9_abi-ayad-fr.pdf(link is external)
[2] la zaouïa est l’espace sacré de tradition musulmane soufie, lieu de culte et de méditation.
[3] les Zénètes berbère appartiennent á la grande tribu des berbères- amazigh, peuple africain autochtone de l’Afrique du Nord
[4] Rachid Bellil, « Les Zénètes du Gourara, leurs saints et l'ahellil », Insaniyat / إنسانيات, 11 | 2000, 99-108.https://journals.openedition.org/insaniyat/7977(link is external)
[5] https://www.socialgerie.net/spip.php?article708(link is external)
[6] Kel Enaden, une caste touareg autrefois forgeron
[7] « Imzad, une musique millénaire de l’Algérie » par Dida Badi, Association Les Amis du Tassili, Editions ENAG, Alger, 2008.
(Photo) : Divas du tagarabt © Karim Moussaoui